Naissance d'un hippocampe

Je l'ai déjà raconté, ma grossesse s'est fortement teintée d'impatience au cours du dernier mois. Pour autant, l'accouchement à venir m'a longtemps paru très abstrait. Je savais que j'allais devoir mettre au monde mon bébé (difficile d'y couper !) mais cela s'arrêtait là. J'avais tout de même quelques espoirs par rapport à cet événement : je ne voulais pas être déclenchée, je pensais tenter de me passer de la péridurale, et j'espérais surtout échapper à la césarienne.


Il faut dire que mes sœurs et moi sommes nées par césarienne en raison de la taille du bassin de ma mère... et je ne suis pas bien plus grande qu'elle. De nos jours, cependant, les médecins semblent adopter une attitude moins systématique qu'à l'époque de ma mère, pour qui les trois césariennes ont été programmées, puisque mon gynécologue m'a annoncé qu'on laisserait mon corps "passer l'épreuve du travail" et qu'on verrait bien alors...

C'est très bien, mais mon anxiété s'est mise à augmenter lorsque, à l'approche du terme, chaque consultation s'est soldée par "le bébé est encore très haut", alors même que mon col, lui, commençait à travailler. Sur la fin du mois de décembre, mon gynécologue m'a annoncé qu'il me déclencherait au plus tard le 2 janvier. Je voyais déjà le pire scénario pour moi se produire : un déclenchement qui se conclurait, j'en étais sûre, en césarienne d'urgence.

J'ai donc tenté de mettre toutes les chances de mon côté : homéopathie et même acupuncture, pour favoriser le travail du col. Coïncidence ou non, c'est à la suite de ma seconde séance d'acupuncture, le 28 décembre en fin d'après-midi, que j'ai ressenti les premières vraies contractions. Je n'ai rien dit à ma mère qui me raccompagnait de mon rendez-vous. De toute façon, je savais que je n'avais pas besoin de me précipiter : Glenn et moi habitons à 2 minutes à pied de la clinique (et comme Glenn n'a pas le permis, vous comprendrez que je n'aie pas cherché plus loin où accoucher...).

J'étais sûre de moi : cette fois, c'était la bonne (nous étions allés à la clinique deux semaines auparavant pour une fausse alerte, et je comprenais à présent pourquoi la sage-femme n'avait guère nourri de doutes en me voyant arriver...). J'ai quand même suivi la procédure conseillée : Spasfon, bain chaud. J'ai mangé quelques pâtes "pour avoir des forces". Nous avons fini de préparer nos affaires, partagés entre joie, fébrilité, anxiété... Et nous nous sommes mis en route, vers 22h30.

On ne va pas se mentir : les 2 minutes ont été longues. Tous les trois pas, je m'arrêtais pour m'agripper à Glenn, le temps que la contraction reparte. Une fois dans la clinique, il a aussi fallu débusquer la sage-femme de garde, petite péripétie dont je me serais bien passée. Son examen a confirmé que le travail avait commencé : col ouvert à 4, j'étais plutôt contente de moi. Mais le bébé, lui, n'était toujours pas descendu.

Il restait quoi qu'il en soit un bon bout de chemin à parcourir... sans anesthésie, conformément à mon souhait. Glenn me préparait des granules d'homéopathie que j'étais supposée prendre à chaque contraction (il en a d'ailleurs renversé un certain nombre dans la salle de pré-travail)... mais les contractions étaient déjà très rapprochées, et j'avais peu de répit. Je n'arrivais plus tellement à marcher mais je me suis assise sur le ballon et, là encore, je m'agrippais à Glenn de toutes mes forces lorsque la douleur me submergeait. Plusieurs fois, je lui ai répété que je n'allais pas y arriver. C'était trop puissant, trop difficile à gérer avec mes maigres moyens.

L'examen suivant, en salle de naissance, a fini de consumer ma résolution : le col avait bien progressé puisqu'il était ouvert à 7, le tout en peu de temps (d'où sans doute l'enchaînement des contractions)... mais le bébé ne descendait toujours pas. Dernier espoir avant d'en passer par la césarienne, selon la sage-femme : rompre la poche des eaux. "Vous aurez beaucoup plus mal..." Souffrir beaucoup plus, sans aucune certitude d'arriver au bout de l'accouchement tel que je le souhaitais ? Je n'en ai pas eu la force. Je l'ai donc autorisée à appeler l'anesthésiste de garde (elle lui a même menti en disant que j'étais à 6, car elle savait que le travail avait peu de chance d'aboutir vite, de toute façon), dont il a fallu ensuite attendre l'arrivée.

La péridurale ne m'a qu'à moitié soulagée. Je n'avais plus mal au ventre au moment des contractions, par ailleurs toujours aussi rapprochées, mais cela me faisait toujours très mal "en bas", sans que je sache très bien à quel endroit exact de mon corps ce "en bas" faisait référence. La percée de la poche des eaux n'a finalement eu pour effet que de confirmer la nécessité d'une césarienne : le bébé ne progressait pas dans mon bassin, et le liquide amniotique était teinté. Il n'y avait plus le choix...

Le plus dur, ça a été d'être séparée de Glenn. Jusque-là, nous avions tout affronté ensemble, même s'il se sentait assez impuissant. Ça a été vraiment douloureux et angoissant de lui dire au revoir. À ce moment-là, j'ai eu le sentiment de ne plus rien contrôler : je tremblais nerveusement, j'ai fait un malaise pendant le trajet vers le bloc opératoire... Il faut dire qu'en fin de grossesse je faisais un malaise chaque fois qu'on me laissait sur le dos pour un examen. On m'a donc mise sur le côté, ce qui aura des conséquences par la suite. À peine arrivée dans le bloc, j'ai vomi dans un haricot... "Mais vous avez mangé ce soir ?!" Je me suis sentie honteuse, presque fautive. Et je tremblais toujours autant. De l'autre côté du champ opératoire, on a commencé à m'inciser : "Vous sentez quelque chose ?". Oui : à gauche, ça piquait franchement.

C'est mon dernier souvenir avant la naissance de mon fils.

L'instant d'après, j'entendais : "Oh, il est tout blond !" et "Félicitations !"
L'instant d'après, je voyais un petit visage humide qu'on pressait contre le mien et que j'embrassais avant qu'on ne l'emporte.
L'instant d'après, je fondais en larmes.
Il était 2h23, le vendredi 29 décembre.

J'ai patienté dans le brouillard pendant qu'on me recousait. C'était un instant... étrange. La sage-femme qui m'avait accompagnée jusque-là avait disparu. Le personnel soignant discutait autour de moi comme si je n'étais pas là (après s'être tout de même enquis de la raison de mes larmes). Et moi, je n'arrêtais pas de me demander ce qui s'était passé : m'étais-je endormie ? Mais comment avais-je pu m'endormir dans un moment aussi important que celui de la naissance de mon bébé ?

Enfin, la sage-femme est revenue me chercher. Je bénéficiais au moins d'une chance : dans le cas des césariennes de nuit, le réveil se faisait en salle de pré-travail, là où Glenn et notre enfant m'attendaient. Dans l'ascenseur, j'ai osé l'interroger malgré mon état de confusion : m'avait-on donné quelque chose pour que je dorme ? C'est là que j'ai appris que j'avais été finalement plus fortement sédatée. Apparemment, l'anesthésie s'était latéralisée à cause de mon inclinaison sur le côté. J'imagine aussi que mes tremblements incontrôlables ne leur auraient pas facilité la tâche...

J'ai retrouvé Glenn, aussi ému que moi.
J'ai retrouvé mon fils, qui patientait calmement dans une couveuse, ses yeux d'ardoise grands ouverts.

Je n'ai pas eu l'accouchement dont je rêvais. Je ne m'étais pas préparée psychologiquement à la césarienne, alors que je savais que je risquais d'en subir une. J'avais encore moins anticipé la possibilité de la forte sédation, qui m'a enlevée jusqu'à la place de spectatrice. On ne va pas se mentir : tout cela a eu des conséquences sur moi, sur mon ressenti.

Mais sur le moment, plus rien d'autre ne comptait que l'hippocampe blotti contre mon sein, et cet amour intense que je ressentais déjà. Cet amour qui nous liait tous les trois. Cet amour qui faisait de nous une famille.

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