Être maman d'un nourrisson

C'est voir ses nuits entrecoupées, hachurées, voire hachées menues. C'est se réveiller au moindre petit bruit, tâtonner pour allumer la veilleuse, pendant que l'autre occupant du lit parental continue de ronfler.
C'est s'endormir avec le bébé sur soi et regarder l'heure sur le réveil sans comprendre pourquoi on a encore le sein à l'air. C'est s'endormir le bras passé à travers les barreaux du petit lit et se réveiller endolorie, le doigt fripé d'avoir été trop longtemps tétouillé. C'est désespérer lorsque dans la pénombre le bébé continue d'ouvrir des yeux de hibou. Et c'est guetter souvent, dans le noir de la chambre, le petit souffle endormi.

C'est apprendre à manipuler des petits bras, des petites jambes, à soulever une lourde tête. C'est changer des dizaines et des dizaines de couches et se sentir un peu coupable à chaque fois que l'on ferme un sac poubelle. C'est faire tourner beaucoup de machines. C'est aller aux toilettes en temps limité, sans oser fermer le verrou (et s'il cassait ?). C'est se retrouver parfois couverte de substances peu ragoûtantes. C'est toujours sentir le lait caillé.

C'est porter beaucoup, dans l'écharpe, dans les bras, en berceau, la tête nichée dans le cou. C'est se débrouiller avec une seule main libre, c'est serrer les dents lorsque les muscles faiblissent. C'est continuer de se balancer d'une jambe sur l'autre même lorsque quelqu'un d'autre berce l'enfant. C'est s'efforcer d'endormir, s'efforcer de déposer dans son lit, et soupirer lorsque le bébé se réveille – ou au contraire se sentir bizarrement seule face à une sieste qui s'éternise.

C'est s'user les lèvres à force de sourires, de bisous et de bruits de bouche idiots. C'est entonner tout le répertoire de son enfance en mélangeant les mots. C'est se faire mal au dos à se pencher sans cesse sur le tapis d'éveil. C'est s'ennuyer parfois, c'est ne plus savoir comment distraire, c'est attendre avec impatience les vrais premiers jeux. Mais c'est aussi déclencher ce semblant de rire qui réchauffe le cœur.

C'est se poser des milliers de questions, mais c'est aussi apprendre peu à peu le fonctionnement de cet inconnu que l'on connaît mieux que personne. C'est reconnaître les signes de fatigue, anticiper la faim, mais c'est aussi rester désemparée face à une crise inexpliquée. C'est pleurer parfois en même temps que le bébé et lui répéter qu'on est désolée. C'est se découvrir de nouvelles peurs. C'est agrandir sans cesse le gouffre sans fond de sa culpabilité.

C'est guetter souvent l'heure, calculer le temps qu'il reste avant le retour du père, de l'allié. C'est ne plus avoir le temps de rien et ne pas savoir comment occuper son temps. Et c'est regarder en arrière le ventre noué. C'est pleurer un peu à chaque grande étape, à la sortie de la maternité, au moment de ranger la taille 1 mois, en voyant son bébé avaler son premier biberon. Mais c'est accueillir chaque progrès avec un bonheur émerveillé.

C'est se plonger dans un regard tout neuf. C'est humer l'odeur devenue si familière d'un cou tiède. C'est aimer si fort que c'en est parfois douloureux.

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Je m'inspire bien sûr de mon expérience et de ma manière d'être mère, mais j'ose espérer que certains éléments de cette liste parleront à d'autres.
L'hippocampe a eu trois mois. On parle du dernier trimestre de grossesse, on parle des "cent jours du nourrisson".
J'ai trouvé souvent merveilleux d'être maman d'un nourrisson, mais j'ai souvent aussi trouvé ça incroyablement difficile.
J'ai parfois dû me répéter que rien de tout cela ne durerait – aussi bien pour supporter ce qui me pesait que pour mieux savourer ce qui me ravissait. Petit à petit les échanges se font plus gratifiants. Petit à petit nous trouvons notre fonctionnement.
Ce n'est peut-être pas si grave de ne pas aimer tout de l'état de nourrisson. Je voulais un enfant, pas un éternel poupon (n'en déplaise à cette mamie croisée à la pharmacie, qui a soupiré devant l'hippocampe endormi dans l'écharpe : "S'ils pouvaient toujours rester comme ça !").
Aujourd'hui je me sens aussi bien nostalgique de ce qui n'est plus qu'impatiente, encore, de voir la suite. Impatiente de continuer à faire la connaissance de mon petit garçon.

Commentaires

  1. Oh qu'il est beau ce billet.
    Comme tu le dis si bien, c'est vraiment tout un tas de choses...Cet article m'inspire, et pour me souvenir, je me prêterais bien à l'exercice moi aussi.
    Au final, ce que j'ai appris de mon plus grand, s'il ne devait rester qu'une chose, être maman c'est (pour moi) sentir le lait.
    On verra ce que je retiendrai le plus de mon second !

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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